Joann Sfar – La vallée des merveilles
Allongé à même le sol, pas loin de la plage, un homme en peaux de bêtes se réveille et commence à faire le guignol avec sa fille aînée, silencieusement, pour ne pas réveiller sa blonde et le petit dernier qui dorment encore sur leurs deux oreilles.
C’est la première planche ou presque de la nouvelle BD de Sfar – avec un tome 2 déjà annoncé – qui comme à son habitude, nous happe immédiatement par le bonheur de vivre qui s’en dégage. Sfar nous embarque dans la journée d’une famille préhistorique - réveil, petit-déj tout frais pêché et babillage familial - avant que Pot de miel, le pater, ne décide d’aller chasser avec son pote Grand Nez qui Déniche qui lui, habite un peu plus loin dans les arbres. Evidemment, on l’a reconnu tout de suite Sfar, avec sa tête ronde et ses cheveux plantés dru, sous son déguisement de gentil colosse cro-magnonesque. Et on voit bien que tout ça n’est que prétexte à nous raconter sa vie de famille, ses mômes et son meilleur pote qui a un fils aussi.
Il ne s’en cache pas d’ailleurs, et décrit dans les carnets de travail publiés en fin d'album ce désir insatiable qu’il a de raconter encore et encore dans des carnets autobiographiques, sa petite vie et les hauts faits de sa progéniture. Mais bon, il le sait bien, le dernier bon mot du petit, ça n’intéresse personne et c’est impubliable tel quel.
Heureusement, Sfar a une autre passion depuis toujours : les monstres. Alors il se saisit de tout ça ensemble, en fait une marmelade et ça nous donne le quotidien de quelques bienheureux, vivant d’amour et d’eau fraîche au temps des dinosaures.
Parce que des dinos, il y en a dans cette histoire, et même des dragons.
Dans une préhistoire aussi naïve que paradisiaque et fantaisiste, notre pater familias et son pote à l’étui pénien vont de rencontre en découverte, chassant dragons, croisant la route de bonzes querelleurs pratiquant obstinément les arts martiaux, fuyant de sanguinaires Aztèques, découvrant en chemin l’utilité des carquois à flèches, et finissant par retrouver deux vieux potes qui viennent d’inventer le néolithique en cultivant des courgettes. Comble du modernisme, ces deux-là ont abandonné leurs vieux prénoms pour s’appeler désormais Frank et Emile !
Sfar introduit même une réminiscence de Lovecraft dans les grands monstres aux yeux vitreux surgis de la mer pour venir observer dormir les femmes et les enfants restés à la grotte. Mais ils ne leur feront rien, car dans la préhistoire de Sfar, si on trouve de tout et que plein de choses impossibles arrivent, rien de grave ne se produit.
Nous voilà donc embarqués au fil des pérégrinations joyeuses et anachroniques des deux compères, au gré des méandres de l'imagination de Sfar. Mais il le reconnaît lui-même, il est paresseux dans son dessin, et au milieu du loufoque, de l’incongru total et de ses quelques trouvailles hilarantes, commence hélas à se faire sentir une certaine facilité dans sa narration qui se déroule presque toute seule, selon ses schémas habituels.
Mais qu’importe.
Anecdotique, gentillette et paresseuse... oui. Mais il émane de cette BD une innocence, un doux bonheur, qui aussi dérisoire que soit son histoire, laisse un sentiment irremplaçable de gaieté et de poésie dont on ne se défait pas. Et c'est rafraîchissant, comme un printemps qui arrive !
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