exprimer
22 novembre 2008 à 01:00
"Marquise" de Pierre Corneille
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes;
Vous serez ce que je suis.
Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore,
Mais ceux que vous méprisez
Pourroient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.
Pensez-y, belle Marquise :
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise,
Quand il est fait comme moi.
28 juin 2009 à 02:19
La réponse de Tristan Bernard à ce vieux prétentieux de Corneille :
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille,
Et je t'emmerde en attendant.
28 juin 2009 à 10:07
(je m'attendais à ce que quelqu'un la sorte :)
28 juin 2009 à 10:35
Georges Fourest
Sonnet parodique
Le palais de Gormaz, comte et gobernador,
Est en deuil : pour jamais dort couché sous la pierre
L'hidalgo dont le sang a rougi la rapière
De Rodrigue appelé le Cid Campeador.
Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre
Chimène, en voiles noirs, s'accoude au mirador
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d'or...
Mais un éclair soudain fulgure en sa prunelle :
Sur la place Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,
Le héros meurtrier à pas lents se promène :
"Dieu !" soupire à part la plaintive Chimène,
"Qu'il est joli garçon l'assassin de Papa!"
02 septembre 2010 à 00:44
La jarre fendue
Un pauvre homme, tous les matins, allait remplir à la rivière, deux grosses jarres qu'il portait aux deux bouts d'un bâton de fer posé au travers de sa nuque. Celle de droite était parfaite, joufflue, luisante, fière d'elle. Celle de gauche était fêlée. Elle perdait son eau en chemin, et donc elle s'estimait mauvaise. Elle en souffrait. Elle avait honte, tellement honte qu'un beau jour elle osa dire, tout en pleurs :
"Pardonne-moi, pauvre porteur.
- Te pardonner ? répondit l'homme. Pourquoi donc ? Qu'as-tu fais de mal ?
- Allons, tu sais bien, chaque jour tu nous emplis d'eau à ras bord, tu t'échines, tu t'exténues à nous porter à la maison et, quand enfin nous arrivons, ma compagne a fait son devoir, elle a la conscience tranquille. Moi, non. Je sens qu'elle me méprise.
J'aimerais être comme elle, mais vois, je suis vide à moitié, et tu dois m'en vouloir beaucoup.
- Oh non, au contraire, dit l'homme. Regarde le bord du chemin, de ton côté. Qu'est ce que tu vois ?
- Des fleurs partout. Elles sont superbes.
- L'eau que tu perds, jarre fendue, les arrose tous les matins. Tous les matins elles te bénissent, et moi je te bénis aussi, car chaque jour je peux offrir un beau bouquet à mon épouse. Tu fais la joie de ma maison. Regarde de l'autre côté. Ta compagne, certes, est parfaite, mais que vois-tu ?
- Cailloux, poussière.
- Chacun fait selon sa nature. Ne change rien, ma bonne amie.
Et ne regrette pas tes failles. Vois comme elles nourrissent la vie."
10 mars 2011 à 22:33
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